Site sur l'accordéon diatonique de Erwan 'diato' Tanguy

Accordéon irlandais - peut-on parler d'un style de jeu ancien et d'un style de jeu moderne ?

V- LA TECHNIQUE INSTRUMENTALE

L'objectif de cette partie est de déterminer si, en mettant en relation la technique instrumentale et le son des accordéons on peut voir émerger différents types de jeux.

Nous allons analyser quelques éléments de phrasé pour nous pencher ensuite sur l'ornementation, en restreignant l'analyse aux reels qui correspondent aux trois-quarts du répertoire irlandais. Je joins en annexe la liste des supports audios avec laquelle j'ai réalisé ces analyses.

5-1-L'accentuation

En musique irlandaise, les reels s'écrivent en 4/4, les accents sont nommés temps (temps 1 et 3 de la mesure) et contretemps (temps 2 et 4). Les musiciens choisissent d'accentuer soit les temps, soit les contretemps, et parfois les deux pour mettre en valeur un motif mélodique.

Voici un exemple avec 'the Galway rambler':


A partir de la troisième génération, on constate l'emploi de syncopes, par exemple chez Sharon Shannon. Cette évolution continue chez la quatrième génération, chez Damien Mullane, Sean og Graham, David Munelly...

Les musiciens placent leurs accents en fonction d'un riff de guitare, ou pour mettre en valeur des motifs mélodiques, voici un exemple avec la version de Joe Burke du reel 'Dinny O'Brien's' composé par Paddy O'Brien:


Et voici tel qu'il pourrait être joué actuellement:


→ Dans la deuxième mesure, les accents mettent en relief les notes ré-do-la qui sont jouées deux fois de suite, le deuxième ré étant une syncope.

→ Dans la troisième mesure, la mélodie est transformée pour placer une syncope sur le fa#.

Le seul accordéoniste de la première génération qui semble utiliser des syncopes est Joe Flanagan. Aucun accordéoniste de la deuxième génération n'en utilise.

Conclusion:

Les syncopes ne sont pas utilisés par les deux premières générations, le cas de Joe Flanagan semblant être unique, mais sont utilisés par les deux dernières.

5-2-Les compositions

Les accordéonistes ayant composé le plus de morceaux sont certainement Paddy O'Brien et Martin Mulhaire, tous deux de la deuxième génération. Des airs comme 'the golden keyboard' (piste 34) ou 'the four leafed shamrock' sont passés dans le répertoire classique de session, preuve qu'ils 'sonnent' traditionnels.

A partir de la troisième génération, certains airs sont composés dans un esprit 'world', par exemple pour 'corkscrew hill' (piste 35) et 'shop street' (piste 36) de Mairtin O'Connor, 'funk in class' (piste 37) de Sean og Graham' ou encore 'colito fortusa' (piste 38) de Mick McAuley; il en est de même pour d'autres instruments, par exemple 'tolka polka' de Donal Lunny (bouzouki, guitare), ou 'the wrong house' de Niall Vallely (concertina).

Ces compositions correspondent certainement à une mode, puisque Joe Derrane (deuxième génération) à composé des airs sans rapport avec la musique irlandaise (par exemple 'pastiche for Anne', piste 39) qui pourraient rappeler certaines compositions en musette, style musical alors à la mode en Europe.

Les compositions récentes, contrairement aux compositions de Paddy O'Brien et Martin Mulhaire, ne sont donc pas destinées à être jouées en session, mais sont des pièces de concert.

La recrudescence de ce type de compositions depuis les années 1970 s'explique sans doute par l'harmonisation et l'arrangement de la musique, autrement dit la création de groupes, là ou il n'y avait jusqu'alors que des musiciens solistes, en duo et en trio accompagnés d'un piano, ou des 'ceili bands' regroupant plusieurs musiciens jouant tous à l'unisson.

Conclusion:

Les compositions influencées par d'autres styles musicaux ne sont pas présentes chez les deux premières générations, à l'exception de Derrane.

Par ailleurs, Derrane se démarque pour avoir troqué son accordéon irlandais contre un accordéon à touches pianos pendant une longue période pour jouer d'autres genres musicaux, notamment du jazz, du rock et de la variété.

Ces types de compositions sont en revanche très présentes à partir de la troisième génération.

5-3-Jeu staccato, jeu legato

Ces deux éléments techniques ne représentent que des tendances de jeux, et ce pour les raisons suivantes:

  • Le jeu sur accordéon bisonore ne peut pas être complètement legato, mais certaines notes, jouées dans un même sens de soufflet, peuvent être liées, d'où le terme 'jeu legato',
  • Un changement de sens de soufflet occasionne une brève interruption de son, le terme staccato représente donc ici un jeu 'poussé-tiré'.

Voici un schéma d'une partie du clavier d'un accordéon en do#/ré:


Sur le schéma, les notes 'poussées' sont en rouge, les 'tirées' en vert. Pour monter la gamme de ré M (ré aigu inclus), les accordéonistes changent de sens de soufflet au minimum 5 fois (ré - mi fa sol - la - si do - ré)

Sur mélodéon, la rangée inférieure n'étant pas présente, les musiciens changent donc sept fois de sens de soufflet pour monter la gamme.

Voici une partie du clavier d'un accordéon en si/do:


Pour monter la gamme de ré M, les musiciens changent de sens de soufflet trois fois. Il est possible selon les airs de développer un phrasé plus legato que sur do#/ré.

Première génération:

Le jeu des accordéonistes est exclusivement staccato. Ce n'est pas dû uniquement à l'usage du mélodéon, puisque Johnny old Connolly ou Dermot Byrne ont des jeux assez legato sur mélodéon: il est en effet possible de jouer plus lié selon les enchaînements de notes, par exemple ré-fa#-la.

Le jeu staccato correspond en fait à un choix plutôt qu'à une contrainte liée à l'instrument.

Deuxième génération:

Les accordéonistes cherchent à imiter les mouvements d'archets des violonistes (jouer plusieurs notes dans un même sens d'archet ↔ jouer plusieurs notes dans un même sens de soufflet) et donc d'avoir un jeu plus legato. La tendance s'inverse donc par rapport aux accordéonistes de la première génération.

On note tout de même que le jeu reste assez staccato, par exemple chez Cooley et O'Brien, mais on entend clairement des liaisons qui confirment le changement de tendance comparé à Derrane qui est dans la lignée des accordéonistes de la première génération et qui a a jeu très staccato.

Troisième génération:

Les accordéonistes sont influencés par les deux générations précédentes, on entend donc les deux styles de jeux.

Par exemple, les accordéonistes Jackie Daly et Paul Brock choisissent un jeu staccato à l'instar des accordéonistes de la première génération, alors que James Keane et Billy McComiskey, influencés par les accordéonistes de la deuxième génération, ont un jeu plus legato.

Quatrième génération:

On retrouve là aussi les deux styles de jeux. Par exemple, Murty Ryan a un jeu à tendance legato alors que Damien Mullane a un jeu à tendance staccato.

Conclusion:

On voit émerger deux éléments de jeux différents entre les première et deuxième générations, ce qui amène à penser qu'il pourrait y avoir un style de jeu ancien (première génération) ainsi qu'un style de jeu moins ancien (deuxième génération).

On ne peut pas déterminer avec cette étude de style de jeu plus récent. On peut néanmoins constater une ré-émergence du phrasé des accordéonistes de la première génération chez les deux dernières générations, sans doute parce que certains accordéonistes de ces deux dernières générations choisissent de jouer du do#/ré (instrument correspondant à la première génération à l'instar du mélodéon); on constate également une continuité du jeu moins ancien (accordéonistes de la deuxième génération).

Le mémoire de Graeme Smith met en évidence ces deux styles de jeux; il appelle le jeu ancien des accordéonistes de la première génération le 'style de jeu ancien' par opposition au jeu des accordéonistes de la deuxième génération qu'il appelle 'le style de jeu moderne'.

5-4-Interprétation binaire, interprétation ternaire

Les reels sont écrits en 4/4 et interprétés soit en 4/4 ou 12/8 (ou 12/16). Voici deux exemples avec le morceau 'the love at the endings' composé par Ed Reavy:

1- interprétation binaire:


2- interprétation ternaire:


Après analyse, il s'avère qu'on retrouve des exemples des deux interprétations chez chaque génération, excepté la dernière, par exemple:

  • première génération: Kimmel joue en binaire, Flanagan joue en ternaire,
  • deuxième génération: Cooley joue en binaire, Joe Burke en ternaire,
  • troisième génération: Conor McCarthy joue parfois en binaire (mais également parfois en ternaire), Sharon Shannon en ternaire,

On constate néanmoins que Flanagan semble être le seul accordéoniste de la première génération à jouer avec cette interprétation ternaire.

D'autre part, on ne peut pas affirmer que tous les accordéonistes de la quatrième génération interprètent les morceaux en ternaire: la plupart des accordéonistes de cette génération n'ayant pas encore produit de disques, seul le collectage pourrait éventuellement le confirmer.

On peut constater également que les accordéonistes peuvent avoir deux interprétations différentes en fonction des musiciens avec qui ils jouent: par exemple, Joe Derrane joue en binaire, mais accompagné par Frankie Gavin il joue en ternaire.

Conclusion:

Il ne semble pas possible d'utiliser ces différences d'interprétations pour déceler des styles de jeux différents en fonction des générations.

Nous allons donc voir avec l'ornementation s'il est possible de parler de styles de jeux différents pour les accordéonistes des deux premières générations, et voir s'il est possible de voir apparaître un style de jeu plus récent.

5-5-L'ornementation

Pour le nom des ornements je vais reprendre la terminologie utilisée par les irlandais; les exemples seront en ternaire.

Il existe d'autre part des ornements dont l'utilisation est suffisamment marginale pour ne pas les citer.

Les 'cuts':

Il existe deux types de cuts:

Ex 1:


Le cut (ici le si) est utilisé pour mettre en valeur une note, ici le sol. L'appogiature est généralement distante d'une tierce par rapport à la note qui suit, celle-ci étant réalisée par un mouvement de doigt rapide sur un bouton adjacent, dans la plupart des cas celui du dessous. L'appogiature est parfois une quinte, c'est alors le bouton encore en dessous qui est utilisé.

Il commence à être utilisé par les accordéonistes de la deuxième génération, et est utilisé par les deux générations suivantes.

Ex 2:


Pour détacher deux notes identiques, ici les sol. C'est l'ornement le plus utilisé en musique irlandaise, c'est une façon commune de séparer deux notes sur uillean pipes (souffle continu), flutes (pour garder un souffle continu) et violons (pour limiter les changements de sens d'archet); il n'est pas vraiment nécessaire à l'accordéon puisque deux notes identiques peuvent être détachées en levant le doigt de la touche; il est utilisé pour reproduire les jeux de flutes, uillean pipes et violons.

→ Le cut est apparu à l'accordéon pour imiter le jeu des autres instruments, très certainement avec les accordéonistes de la deuxième génération; il est présent chez les trois dernières générations.

Il n'est pas du tout présent chez les accordéonistes de la première génération, cette technique était peut-être volontairement omise, ou elle leur était peut-être tout simplement inconnue.

Les 'triplets': (trois dernières notes des exemples)

Les triplets sont joués différemment en binaire et et en ternaire, je donne un exemple en binaire uniquement pour le premier exemple.

Ex 1: avec 3 notes identiques (parfois appelé 'cranning')


ou en binaire:


On ne trouve presque pas ce 'triplet' avant les années 1970, il est présent chez les troisième et quatrième générations, pas du tout chez les deux premières à l'exception de Joe Derrane.

Il devait néanmoins être connu des deux premières générations puisque notamment Michael Coleman (joueur de violon, 1891-1945), qui a influencé énormément de musiciens, l'utilise fréquemment.

C'est l'ornement qu'utilisent le plus les joueurs d'accordéon à touches pianos, il a été popularisé par Johnny Cunningham (touches pianos) et repris par Sharon Shannon (si/do); le jeu de cette dernière étant un modèle pour de nombreux jeunes accordéonistes, il est de plus en plus utilisé. Il remplace le 'roll' (voir plus loin).

Ex 2:


Johnny McCarthy semble être le premier accordéoniste à utiliser cette technique, et est le seul de sa génération (deuxième génération) à l'utiliser.

Son utilisation chez la troisième génération semble se limiter aux accordéonistes du County Clare (notamment Sharon Shannon qui vient de Corofin et Conor McCarthy, fils de Johnny McCarthy) On retrouve cette technique chez les joueurs de banjos (par exemple Kevin Griffin, troisième génération).

Certains accordéonistes de la dernière génération l'intègrent dans leurs jeux, par exemple Damien Mullane, Peter Browne ou encore Tim Edey.

Il est possible de réaliser cet ornement de deux manières:

  • les deux premières notes (ici les fa) sont jouées sur la rangée intérieure avec l'annulaire et le majeur et la dernière (le mi) est jouée sur la rangée extérieure avec l'index. Dans ce cas la dernière note correspond généralement au demi-ton inférieur des notes précédentes.

  • Les trois notes sont jouées sur un même bouton, avec deux doigts; il existe alors plusieurs combinaisons de doigts possibles, par exemple: le premier fa avec le majeur, le deuxième fa avec l'index qui reste appuyé sur la touche, le musicien changeant de sens de soufflet pour obtenir le mi.

Ex 3 :

On trouve ce type de triplet sous d'innombrables formes; ici c'est un mouvement mélodique conjoint:


Il pourrait être disjoint, surtout chez les joueurs de mélodéon; on pourrait avoir mi-sol-mi au lieu de sol-fa-mi...

On le rencontre chez les quatre générations.

Ex 4 : la note finale est introduite par un chromatisme


Cet ornement n'est pas présent chez la première génération, il n'est d'ailleurs pas réalisable sur mélodéon du fait du chromatisme. Il est présent chez les trois autres générations.

Ex 5: le roll (cf plus loin) sans cut


Son exécution est réalisée avec le demi-ton inférieur (ici le ré#), ou avec le ton inférieur. Il n'est pas réalisable sur mélodéon, c'est pourquoi il n'est pas utilisé par la première génération.

Ce triplet est utilisé par Paddy O'Brien, Joe Derrane, Bobby Gardiner, Conor McCarthy, ainsi que par Conor keane, donc par les deuxième et troisième générations, mais est sans doute utilisé par certains accordéonistes de la quatrième.

Il est utilisé pour alléger le roll.

Les 'slides':


Le slide n'est apparemment employé que depuis les années 1980, beaucoup par les joueurs d'accordéon à touches pianos. Les nouvelles générations l'utilisent fréquemment, par exemple Sharon Shannon, Dermot Byrne, Damien Mullane, il est difficile de savoir si c'est pour imiter les glissandi des violons (nombreux en musique traditionnelle irlandaise) ou une assimilation de la technique instrumentale des accordéonistes (accordéons à touches pianos) de jazz-blues, autrement dit une imitation d'un élément de technique instrumentale du piano.

Son utilisation sur accordéon irlandais est simple: l'appogiature est le demi-ton inférieur de la note (systématique pour cet ornement), et correspond à l'agencement des deux rangées de ce type d'accordéon.

Sur accordéon à touches pianos, il correspond à l'origine à un glissé d'un même doigt d'une touche noire vers une touche blanche, mais ce n'est plus le cas maintenant puisqu'on peut trouver deux touches blanches à la suite (par exemple mi-fa) ou une touche blanche suivie d'une touche noire (ex: do-do#).

Les 'double stops':

Ex 1:


Pour mettre en valeur une note, ici le do qui est doublé à l'octave inférieur; parfois elle est doublée à l'octave supérieur.

Ex 2:


Un accord est utilisé pour mettre la note en valeur (ici le do), souvent c'est une variation destinée à faire une pause dans la mélodie.

Les double-stops sont employés par presque tous les accordéonistes, on pourrait penser que c'est un processus d'imitation de la technique instrumentale du violon (double cordes).

Les 'rolls':

Le roll n'est pas une spécificité irlandaise, mais un élément technique utilisé par les instruments à réserve d'air (souffle continu), comme la cornemuse écossaise. En Irlande il est à l'origine utilisé par les flutes et uillean pipes pour jouer trois mêmes notes consécutives, les violonistes ont rapidement imité ces deux instruments:


Les 3 sol sont détachés par une note plus aigüe puis une plus grave; le choix des appogiatures a peu d'importance, l'effet étant surtout rythmique.

Sur l'accordéon, les deux premières notes sont détachées par un cut, les deux dernières par le ton ou le demi-ton inférieur, et est joué comme ceci:


L'effet est alors plus mélodique que rythmique.

Sur mélodéon il est difficile à placer du fait du poussé-tiré sur les trois dernières notes et n'est pas utilisé, trois notes consécutives étant jouées sans ornement.

Sur accordéon irlandais, le rajout d'une rangée un demi-ton plus grave permet d'avoir le demi-ton inférieur sur la première rangée; l'avantage est de pouvoir jouer toutes les notes du roll dans un même sens de soufflet, d'où le nom 'roll legato' parfois employé.

Le roll est surtout introduit par Paddy O'Brien vers les années 1950; l'emploi du demi-ton inférieur est systématique chez lui et est repris depuis par tous les accordéonistes qui utilisent sa technique instrumentale.

Il est d'autre part utilisé par Joe Cooley, mais de façon imprécise, ce dernier ne privilégiant pas l'habileté technique, mais plutôt les 'coups de soufflets'.

Pour les autres instruments il est rare de trouver ce demi-ton accidentel (étranger à la gamme dans laquelle est joué le morceau), en général c'est plutôt un ton.

Il existe deux terminologies du roll, l'interprétation diffère selon les instruments; l'exemple du roll précédent s'appellerait 'short roll'.

L'autre type de roll, plus difficile à placer, s'appelle 'long roll'; on le trouve dans les hornpipes ou dans les jigs, cependant seul Derrane l'utilise vraiment. Le voici en 6/8, il remplace une noire pointée:


Et le voici dans un reel, le long roll correspond aux quatre dernières notes:


Le Roll est utilisé par tous les accordéonistes de la deuxième et par certains accordéonistes des troisième et quatrième générations, par exemple James Keane, PJ Hernon, Billy McComiskey et Damien Mullane.

Les demi-rolls:

Chez la plupart des accordéonistes aujourd'hui le roll est remplacé par un demi-roll:


Les deux premières notes sont détachées par un cut, les deux dernières sont simplement jouées sans ornement.

Il est possible que la jeune génération se soit lassée de l'emploi systématique du roll pour détacher trois notes, le chromatisme est donc enlevé pour l'alléger.

Il est également utilisé en remplacement du roll pour détacher trois fa# sur Si/do, le chromatisme (le fa bécarre du roll) dans un unique sens de soufflet n'étant alors pas possible.

Le demi-roll est utilisé par les deux dernières générations, pas du tout chez les deux premières.

Main gauche:

La main gauche en musique irlandaise n'est pas souvent employée. Certains accordéonistes comme Conor McCarthy l'utilisent tout le temps, avec alternance basse (temps) - accords (contretemps); cependant pour alléger et suivre au mieux les accents naturels de la mélodie, ainsi que pour accentuer le contretemps, la basse est souvent omise. Dans ce cas la main gauche conserve sa fonction rythmique, on en retrouve des exemples chez toutes les générations.

La plupart des accordéonistes utilise la main gauche pour ornementer avec des double-stops la mélodie: mettre en valeur une note plus longue dans la mélodie, mettre en valeur un groupe de notes en jouant sans interruption la basse ou l'accord sur ce groupe de notes.

Cette pratique ne se retrouve pas chez la deuxième génération, excepté chez Derrane pour les pièces lentes. Les autres accordéonistes de cette génération n'ont pas enregistré de slows airs, on ne peut donc pas connaître leur utilisation de la main gauche pour ces pièces.

Cette pratique se retrouve chez Flanagan pour la première génération; pour les autres accordéonistes, soit la main gauche n'est pas présente, soit la qualité des enregistrements ne permet pas de la distinguer.

Ces deux premières générations bénéficiaient de l'accompagnement d'un piano; cet accompagnement, appelé 'pompes' correspond à l'accompagnement basique de la main gauche de l'accordéon, une alternance basse-accord. A partir des années 1970 l'accompagnement se fait surtout avec une guitare, les rythmiques évoluent, ce qui explique sans doute pourquoi les accordéonistes utilisent moins fréquemment la main gauche sous forme de pompes à partir de cette période.

Conclusion

On constate un emploi différent des ornements selon les générations:

première génération: (son d'accordéon: 3 voix type mélodéon)

Les accordéonistes utilisent les triplets de l'exemple 3 sous différentes formes. La qualité des enregistrements ne permet pas de distinguer une éventuelle main gauche.

L'imitation des jeux des accordéonistes de cette génération par Mairtin O'Connor, un des musiciens les plus 'modernes', ou un des plus innovants d'Irlande, inscrit ce type de jeu dans une certaine modernité.

De même que le retour à la musique irlandaise de Joe Derrane, qui suscite l'admiration de beaucoup de musiciens irlandais et étrangers, et dont le jeu est dans la continuité des accordéonistes de cette génération.

Deuxième génération: (son d'accordéon: son musette)

Les accordéonistes ornementent beaucoup les mélodies, on entend des rolls, des cuts, des double-stops et l'exemple 3 des triplets.

La main gauche quand elle est présente correspond à des pompes (avec omission régulière de la basse), excepté Derrane qui l'utilise également sous forme de double-stops sur les pièces lentes.

Troisième génération: (sons d'accordéons: son musette et deux voix)

Tous les ornements sont présents, cependant les accordéonistes délaissent l'emploi du roll pour des triplets (exemple 1) ou pour des demi-rolls.

La main gauche est jouée sous forme de pompes ou de double-stops.

Les accordéonistes qui continuent d'utiliser la technique instrumentale de la génération précédente:

→ James Keane (son musette puis deux voix)

→ Billy McComiskey, qui parfois délaisse le roll pour des demi-rolls, mais presque exclusivement sur les fa# (3 voix musette aigües accordées moins musette que les accordéons de la génération précédente)

→ PJ Hernon (son musette)

Mairtin O'Connor, qui est boulimique de technique, utilise tous les ornements cités et d'autres ornements que je n'ai pas cité, mais qu'il est un des seuls à utiliser.

Les autres accordéonistes utilisent le roll de façon très anecdotique: Dermot Byrne l'utilise une fois seulement dans toute sa discographie!...Josephine Marsh l'emploie rarement (pour les jigs surtout); ces accordéonistes jouent avec des deux voix.

Quatrième génération: (son d'accordéon: deux voix)

→ Damien Mullane, John Williams et David Munelly sont très influencés par la technique de Mairtin O'Connor et cherchent à l'imiter (entre autres), l'utilisation des rolls n'est donc qu'un élément technique et non une assimilation du phrasé des accordéonistes de la deuxième génération. D'autre part, Damien Mullane, champion d'Irlande de mélodéon, se dit très influencé par les accordéonistes de la première génération, mais apparemment pas par ceux de la deuxième.

→ Darren Breslin utilise les rolls; il joue de la main gauche en pompes. Il se dit très influencé par ce qu'il qualifie d'« old style » et d'« old sound », en parlant des accordéonistes de la deuxième génération et non de la première.

Tous les autres utilisent tous les ornements hormis les rolls, et la main gauche surtout en double-stops.

6-6-Entre son et technique:

La différence de technique instrumentale entre les deux premières générations est claire. Le son des accordéons change entre ces générations, de même que les types d'accordéons utilisés. On peut donc parler d'un style de jeu ancien (première génération) et d'un style de jeu moins ancien (deuxième génération).

On note toutefois une différence de jeu chez Joe Cooley; celui-ci, contrairement aux autres, ne privilégiait pas l'habileté technique, mais des coups de soufflet puissants dans le but d'avoir un jeu très énergique. On peut donc dire qu'il avait son propre style de jeu.

On note également une différence de jeu chez Derrane, celui-ci étant clairement dans la lignée des accordéonistes de la première génération.

On voit trois tendances dans la troisième génération :

  • ceux qui choisissent le son et la technique des accordéonistes de la deuxième génération,
  • ceux qui choisissent un son d'accordéon à deux voix avec une technique évolutive (avec ou sans roll, rajout d'ornements non-utilisés jusqu'alors),
  • Ceux qui choisissent le son et un phrasé proche des accordéonistes de la première génération; ces accordéonistes, par exemple Paul Brock, sont souvent également influencés par Joe Cooley.

Il faut noter que ces deux dernières tendances se mélangent chez Jackie Daly et Mairtin O'Connor par exemple.

Il y a deux tendances dans la quatrième génération :

  • ceux qui choisissent des jeux avec ou sans roll inscrits dans une démarche de technique évolutive, avec l'influence éventuelle du phrasé des accordéonistes de la première génération, avec un accordéon à deux voix ou à trois voix type mélodéon,
  • ceux qui choisissent la technique instrumentale des accordéonistes de la deuxième génération, avec un accordéon à deux voix ou à trois voix type mélodéon.

Conclusion:

Après un tour d'horizon des différents sons d'accordéons qui existent, des différents ornements et différents phrasés on voit apparaître quelques grandes tendances:

  • on peut parler de style de jeu ancien pour les accordéonistes de la première génération, ainsi que pour Joe Derrane,
  • on peut parler du 'style de jeu des années 1950', pour les accordéonistes de la deuxième génération ainsi que quelques accordéonistes des troisième et quatrième générations,
  • on peut parler de jeu moderne pour certains accordéonistes des deux dernières générations, la technique instrumentale étant nouvelle, le son des accordéons étant différent. On pourrait penser que ce style de jeu est en fait une ré-émergence du style de jeu ancien, et que certains accordéonistes l'ont simplement fait évoluer.

Il est donc possible d'établir un nouveau classement:

Style ancien:

Tous les accordéonistes de la première génération ainsi que Joe Derrane.

Style de de jeu des années 1950:

Tous les accordéonistes de la deuxième génération excepté Cooley et Derrane, ainsi que PJ Hernon, James Keane, Billy McComiskey.

Style de jeu moderne:

Mairtin O'Connor, Sharon Shannon, Dermot Byrne, Conor McCarthy, Josephine Marsh, Damien Mullane, David Munnelly, Johnny og Connolly, Sean og Graham, Damien McKee, Murty Ryan et Donal Murphy.

Entre deux styles:

Ces trois styles de jeux ne conviennent pas à trois accordéonistes:

Joe Cooley:

Il utilise les rolls, et lie plus les mélodies que les accordéonistes de la première catégorie; cependant, son jeu reste très staccato, et il utilise un do#/ré. Son style de jeu est à mon avis entre le style de jeu ancien et le style de jeu des années 1950.

Paul Brock et Jackie Daly:

Ces accordéonistes sont très influencés par la musique des accordéonistes de la première génération ainsi que par Joe Cooley, et jouent en outre tous deux du mélodéon ainsi que du do#/ré.

Cependant ils utilisent également une technique instrumentale moderne, ainsi qu'un son d'accordéon à deux voix; ils jouent par ailleurs moins staccato que les accordéonistes de la première génération.

Leurs styles de jeux sont donc entre le style de jeu moderne et le style de jeu ancien.

Avant de conclure, nous allons essayer d'analyser dans la partie suivante si la modernisation de la société est un élément dans l'évolution du son des accordéons et l'évolution de la technique instrumentale.

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